Note : Il est conseillé d’avoir vu le film Logan avant de lire cet article.
Dans une nouvelle critique de cinéma, Hideo Kojima s’intéresse à l’importance de construire des univers qui ne doivent jamais se terminer, même lorsque le héros est tué. Pour illustrer sa critique, le créateur de Death Stranding fait même le parallèle entre Wolverine et Solid Snake.
Chaque mois, Hideo Kojima livre une critique d’un film sur le site américain Glixel. De La La Land à Kong : Skull Island, en passant par Mad Max : Black & Chrome et Ghost in the Shell, le Japonais partage sa passion depuis le début de l’année. Ce mois-ci, Hideo Kojima s’intéresse à Logan, le surprenant film de James Mangold sorti au cinéma le 1er mars 2017.
« Vous souvenez-vous de l’époque où tous les films avaient une histoire avec un début et une fin ? Ces derniers temps, nous avons Star Wars, l’Univers cinématographique Marvel, l’Univers cinématographique DC, King Kong et Godzilla « MonsterVerse » ou encore Universal Monster Universe (qui débute le 9 juin avec la sortie de La Momie réalisé par Alex Kurtzman avec Tom Cruise). Tous ces exemples montrent qu’Hollywood aspire aujourd’hui à produire des mondes sans fin et persistants. Même Night Shyamalan, qui nous a habitués à des fins brillantes, travaille sur le sujet. Récemment, il a annoncé une suite à son film de super-héros Incassable (2000) ainsi qu’à son thriller psychologique Split (2016). Cette suite servira de base pour un nouvel « Univers Incassable ». Les films du 21e siècle semblent être imaginés selon le principe d’une sorte d’« univers partagé ».
Depuis la sortie de X-Men en 2000 (avec Hugh Jackman en Wolverine), ce ne sont pas moins de neuf films qui ont été réalisés au cours des 17 dernières années, formant ainsi un univers unique (séparé de l’Univers cinématographique Marvel) dans lesquels on retrouve l’éternel Wolverine.
Les personnages de ces films modernes sont bloqués dans une boucle sans fin et le fait qu’ils soient toujours présents entraîne une rupture dans la structure conventionnelle de la narration. Chaque film n’est plus qu’une pièce qui s’assemble avec les autres pour former un univers bien plus vaste. Le début et la fin de chaque film ne sont que des connexions entre eux. Aujourd’hui, un film est comparable aux histoires sérialisées que vous pouvez lire dans le célèbre hebdomadaire japonais Shonen Jump, ou à un épisode de série télévisée telle que The Walking Dead. Chaque histoire fait partie d’un tout. Désormais, un film n’a plus de début et ni de fin bien définie.
Ce phénomène est lié aux changements drastiques dans le paysage vidéo. Aujourd’hui, une vidéo peut être regardée à tout moment, n’importe où, avec une grande facilité, grâce aux téléphones portables et aux tablettes. Plutôt que d’être consommés comme un dîner digne de ce nom, les films sont dévorés comme s’il s’agissait de snacks, de suppléments diététiques voir même de médicaments. La seule option pour les créateurs est de séparer une histoire en pièces en s’assurant qu’elles restent toujours aussi excitantes que possible. Dans un environnement en ligne, débordant aujourd’hui de vidéos, les spectateurs sont accros.
Bien qu’il fasse lui aussi partie d’un univers plus vaste, le film Logan réussit également à s’en séparer pour devenir un récit autonome, en terminant une histoire qui semblait inachevable. C’est précisément la raison pour laquelle Logan est un film à retenir.
En empruntant des idées à l’histoire de Old Man Logan créée par Mark Millar et Steve McNiven en 2008, le réalisateur James Mangold déshabille Wolverine de ses pouvoirs et les remplace par le poids de la vieillesse. Le début du film dépeint Logan qui a pratiquement perdu goût à la vie. Devenu incapable de se guérir, lentement empoisonné par son squelette en adamantium, notre héros impuissant passe ses jours près de la frontière mexicaine en tant que chauffeur de limousine. À ses côtés, le vieux Professeur X souffre d’Alzheimer et est désormais incapable de contrôler ses aptitudes télépathiques. Dans ce monde, les mutants sont sur le point de s’éteindre définitivement, et Logan y a perdu sa place. L’époque des super-héros n’est plus qu’un lointain souvenir.
En 2008, j’ai réalisé quelque chose de similaire quand j’ai introduit un vieux Solid Snake dans Metal Gear Solid 4 : Guns of the Patriots. Pendant l’introduction, Snake dit que « la guerre a changé ». Son nom de code a également changé pour devenir « Old Snake ». Les lettres « I » et « S » ont été retirées du mot « Solid ». « IS » – en d’autres mots « est, être » – a été retiré à Snake. Il est maintenant Old Snake. De la même manière, Snake et Logan avaient leur place dans le monde. Mais quelle place y a-t-il encore dans le monde pour ceux qui ont été arrachés de leur propre essence ? Tout ce qu’il reste est leur chapitre final, celui de leur départ. J’ai tenté d’utiliser les mêmes ficelles que celles du film Logan, en écrivant une « fin » pour Metal Gear Solid 4 qui ne met pas un point final à la saga.
Étant donné que la mort est le sort ultime de tout être humain, comment peut-on résister en essayant de la vaincre ? Dans Metal Gear Solid 2, Solidus Snake qui ne peut pas se reproduire (comme c’est le cas de tous les clones « Snake ») essaie de transmettre la connaissance de son existence à la nouvelle génération par le biais des mèmes culturels. Plus tard, dans Metal Gear Solid 3, je représente cette résistance contre la mort par l’accession de The Boss à Big Boss. Logan essaye de surmonter le destin d’une manière similaire. Tout comme dans la série MGS, le personnage principal surmonte son destin en passant le relais à la nouvelle génération.
Il existe d’autres similitudes entre la série MGS et Logan. À l’instar de Logan, Snake n’utilise jamais son véritable nom et prend un pseudo qui peut être hérité. Cet « autre nom » nous a permis d’avoir plusieurs Snake différents dans MGS se passant le relais de génération en génération. Le nom « Snake » leur a permis de surmonter leurs limites individuelles, de transmettre leur mission et nous a permis de faire en sorte que l’univers continue à devenir plus vaste. « Snake » a toujours été bien plus qu’un simple nom de code.
Le nom « Wolverine » pour Logan a le même but. Wolverine est un nom de code mais, comme les fans de la série le savent bien, Logan n’est pas non plus son véritable nom. Il s’appelle James Howlett. « Logan » est le nom qu’il utilise quand il n’est pas traité comme un pion sur le champ de bataille. C’est son nom quand il vit une vie ordinaire. D’après moi, ce film s’appelle « Logan » plutôt que « Wolverine » parce que le relais que le héros essaie de passer à la nouvelle génération est le côté humain de sa personnalité. C’est pareil dans Metal Gear Solid 2, quand Raiden est d’abord traité comme un pion avant qu’il se révèle en tant que personne : Jack.
Sur la bande son du film « The Wolverine » (2013) signée par Marco Beltrami, il y a un titre baptisé « Logan’s Run ». Il existe un film de 1976 qui partage le même nom, inspiré du livre éponyme de William F. Nolan et George Clayton Johnson. L’histoire raconte une société qui vit dans une ville utopique sous un dôme. La durée de vie des habitants est réglementée afin de gérer la croissance démographique et la consommation des ressources. À l’âge de trente ans, ils sont invités à une cérémonie où, lors d’un rituel, ils sont transformés en êtres éternels – bien qu’en vérité, ils sont purement et simplement exécutés. Le personnage principal, joué par Michael York, est connu sous le nom de Logan 5. Il occupe la position prestigieuse de « Sandman ». Il s’agit de limiers chargés de poursuivre et d’exterminer les fugitifs du rituel. Au fil de l’histoire, Logan 5 commence à douter du monde qu’il habite et il tente de s’en échapper. Ce faisant, Logan apprend que des vies humaines sont sacrifiées pour maintenir la société utopique, et il tente de libérer les gens et de rétablir leur connexion avec le monde extérieur. Le « run » de Logan présenté dans le film Logan a une portée similaire en ce sens qu’il sert d’évasion à l’univers des X-Men, et Logan/Wolverine gagne vraiment une place dans l’éternité grâce à cela.
Mais qu’est-ce que signifie : dépeindre la vie dans un univers sans fin ? Est-ce représenter une vie physiquement éternelle ? Pas vraiment. Ne pas mourir et continuer à vivre ne sont pas une même chose. Mourir ne signifie pas nécessairement finir. Laisser une preuve de votre existence à la nouvelle génération, laisser une marque dans le monde, c’est précisément ce qu’est la survie. En terminant une histoire sans fin, nous pouvons enfin voir le vrai sens de la vie et de la mort. Logan a su dépeindre cela avec brio. Et cet exercice a été possible grâce à au talent de Hugh Jackman qui a su jouer Wolverine pendant dix-sept longues années.
Quand Bryan Singer a réalisé le premier X-Men en 2000, l’enthousiasme pour un nouveau millénaire a été accompagnée par la sortie d’un film consacré à une nouvelle race d’humain passionnante. Mais les attentats du 11 septembre ont directement plongé le siècle dans une ère sombre, pleine d’incertitudes, au point de redéfinir la justice américaine. Ces événements se sont reflétés chez les super-héros. Dans Spider-Man en 2002, Peter Parker est troublé par ses pouvoirs. En 2008, The Dark Knight renverse l’archétype du héros. Dans ce contexte de guerre sans fin contre le terrorisme, nos héros sont devenus totalement différents. Ces nouveaux univers cinématographiques sont nés de la régression introspective de ces héros.
Malgré ces forces émergentes, Logan parvient à raconter une histoire qui reflète le passé tout en passant le relais au futur. La structure de l’histoire est assez classique. En fait, elle emprunte beaucoup au film de 1953 « Western Shane » de George Stevens (Laura le visionne même durant le film). Shane, le vagabond qui protège les fermiers, est Logan. Et Joey, le petit garçon qui supplie pour que Shane « revienne » alors qu’il s’éloigne, est Laura. Shane (Logan) ne reviendra jamais. Mais la voix de Joey (Laura) restera telle un écho. Shane est dans le cœur de Joey, et tout comme sa présence annonçait la maturité de Joey, Logan restera éternellement dans le cœur de Laura.
Cet appel à « revenir » est peut-être le dernier stade du divertissement du cinéma. Pour quelle raison le film crierait-il de « revenir » ? Car le média du jeu vidéo a déjà dépassé les capacités narratives des films. Les jeux peuvent offrir autant d’histoires qu’il y a de joueurs. Les jeux vidéo ne cherchent pas à créer des histoires sans fin. Ils peuvent déjà offrir des histoires qui n’ont pas besoin de fin. Les jeux sont également plus addictifs que les films. Et admettons-le, un divertissement addictif sans fin est justement ce que demandent le marché et les joueurs.
Où se dirige le média du film ? Y aura-t-il un « replay », un retour ou une renaissance ? Existe-t-il une place pour les films sur le marché sans fin et addictif que les jeux vidéo ont déjà sculpté ? Tout ce que je peux dire c’est que, alors que le Logan de Hugh Jackman n’est plus, l’univers des X-Men continuera très certainement. Toutefois, les marques que les griffes de Logan ont laissées derrière lui sont profondes et auront un impact durable dans l’univers de la série. Peut-être repartira-t-il même sur quelque chose de complètement différent. Le choix de mettre un terme à l’histoire de Logan est la raison pour laquelle elle marquera les esprits à tout jamais. »
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