Interrogé par Develop, Hideo Kojima s’est exprimé sur son nouveau jeu, Death Stranding, qui pourrait bien devenir une franchise si le jeu rencontre le succès auprès du public. Le Japonais évoque également sa nouvelle indépendance et la célèbre mention « A Hideo Kojima Game », deux petites piques – à peine dissimulées – envers son ancien employeur, Konami.
Depuis l’annonce de son nouveau jeu Death Stranding, Kojima Productions – qui embauche encore à ce jour – croule sous les candidatures. La bande annonce avec Norman Reedus a engendré de vives réactions positives auprès des joueurs impatients de voir le retour de Hideo Kojima aux commandes d’un nouveau jeu depuis sa séparation avec Konami. « Je vous mentirais si je disais qu’il n’y a pas de pression » admet Hideo Kojima. « Toutefois, l’enthousiasme des joueurs nous pousse à aller de l’avant. Il est vraiment trop tôt pour en dévoiler plus que le trailer [de l’E3 2016]. Mais ce qu’il a engendré comme réactions est quelque chose qui nous motive pour créer des jeux vidéo. Cette pression est vraiment un carburant pour notre créativité. »
Si le choix du moteur graphique entre deux mystérieux prétendants est toujours d’actualité, Hideo Kojima prépare déjà l’après Death Stranding. Cette fois, le Japonais ne veut plus piéger sa créativité dans une seule et même série pendant des années. C’est pourquoi, il ouvre un maximum de portes pour préparer le futur, et ce avant même que le cœur du développement de Death Stranding n’ait commencé. « Death Stranding est notre premier jeu. S’il rencontre le succès, nous pourrions en faire une franchise » explique Hideo Kojima. « Mais cela pourrait nous faire entrer dans un cycle. Celui de devoir sortir un jeu chaque année, ou presque. Ce serait alors une situation identique à celle que j’ai déjà connue par le passé. Et je ne souhaite vraiment pas que cela se reproduise. Je travaille avec des personnes qui veulent faire du bon travail. Je veux me concentrer sur la priorité de créer quelque chose que l’équipe soit fière d’avoir réalisée. Nous verrons ensuite ce qu’il adviendra.
Je suis sûr que Sony voudra en faire une franchise. Je ne sais pas si nous la ferons ou pas. Mais je ne veux pas fermer cette porte. Je veux faire en sorte que, si quelqu’un d’autre souhaite faire une suite, il puisse la faire. Le concept de Death Stranding est quelque chose qui, je pense, sera complètement nouveau dans les jeux vidéo. Je veux me démarquer. Je veux faire le titre qui change le paysage du jeu vidéo. »
Sans exception, les jeux de Hideo Kojima sont de véritables déclarations d’amour pour le cinéma, et plus récemment pour les séries télévisées. La célèbre mention « A Hideo Kojima Game » est d’ailleurs devenue la signature du Japonais. Si bien que sa disparition sur les jaquettes de Metal Gear Solid V : The Phantom Pain n’est pas passée inaperçue auprès des fans très mécontents envers Konami. Mais aujourd’hui, la signature de Hideo Kojima est bel et bien de retour avec Death Stranding. « Dans le passé, vous aviez « un film d’Alfred Hitchcock » ou « un film de John Carpenter » parce que le statut d’auteur était reconnu. Vous connaissiez le nom de réalisateur du film et c’est d’ailleurs la raison pour laquelle vous alliez voir son film. Je ne pense pas que cela soit d’actualité aujourd’hui, du moins pas autant qu’avant. Bien sûr, il y a encore Spielberg ou Cameron pour ne citer qu’eux, mais ils forment une classe à part.
Mettre le nom du réalisateur en avant ne va pas de pair avec les conceptions du marketing. C’est même plutôt le contraire. La situation est similaire dans les jeux vidéo : vous ne voyez pas beaucoup de noms sur les jeux parce que cela va à l’encontre du marketing. Si vous mettez le nom de Spielberg ou le mien sur un produit, seuls les fans de cet auteur seront intéressés de le voir ou d’y jouer. Et ce n’est pas ce que veut le marketing [dont le but est de toucher un maximum de personnes].
La situation dans laquelle nous sommes [avec Death Stranding] est un petit peu différente. Nous préférons adopter une approche selon laquelle les gens qui nous connaissent et aiment nos jeux, y jouent et les apprécient. C’est notre objectif. J’espère que nous connaîtrons une époque où des développeurs indépendants qui réussissent à se faire un nom, attireront l’attention des gros éditeurs. Dans le cinéma les nouveaux talents sont repérés et sont choisis pour faire le prochain Star Wars ou le prochain Aliens. Dans le futur, j’espère que nous aurons une situation équivalente dans les jeux vidéo. »
Au fil des interviews, Hideo Kojima ne cache pas qu’il savoure son indépendance. Fini les réunions interminables (ce sont ses mots) auxquelles il devait participer. « J’ai beaucoup plus de liberté pour créer des personnages. Il n’y a pas de frontière» s’exclame le Japonais avec délice. « Lorsque je travaillais sur la série [Metal Gear], chaque titre était pour moi un nouveau jeu. J’essayais d’apporter des idées inédites. Les jeux Metal Gear avaient beau appartenir à une seule et même série, j’ai toujours veillé à ce que chaque épisode apporte son lot de nouvelles choses, en offrant une expérience différente. En fin de compte, notre approche d’aujourd’hui n’est pas si éloignée. »
Toutefois, être indépendant peut s’avérer dangereux pour la créativité, souligne Hideo Kojima qui ne travaille plus avec un nombre conséquent de personnes. « Les équipes avec lesquelles j’ai travaillé sur Metal Gear Solid et Metal Gear Solid 2 : Sons of Liberty étaient très petites » se souvient Hideo Kojima. « Pour Metal Gear Solid 3 : Snake Eater, nous avons essayé d’adopter une ligne de production plus occidentalisée. Quant à Metal Gear Solid V, l’équipe était probablement un peu trop grande. Aujourd’hui, je souhaite créer quelque chose qui se rapproche un peu plus du fait maison. C’est pour cette raison qu’en toute conscience, j’ai choisi de travailler avec une équipe plus petite que par le passé. »
En plus de l’annonce de Death Stranding, l’actualité récente de Kojima Productions a été marquée par de nombreux voyages technologiques relatés par Hideo Kojima sur Twitter. Durant les six premiers mois de l’année 2016, le Japonais s’est rendu chez les plus grands studios de jeux vidéo pour y découvrir la technologie de pointe qui servira pour ses nouveaux projets. Finalement, contrairement à ce qu’il attendait, ce n’est pas vraiment la technologie qui l’a impressionné. « Lorsque j’ai commencé, le hardware était très limité » souligne Hideo Kojima. « Les jeux vidéo ont connu une évolution importante et le niveau d’expression que l’on peut atteindre aujourd’hui est proche de celui du cinéma. Et je pense que cela va continuer à s’en approcher. Plus la technologie progresse, plus grande est notre palette de possibilités. Quand je suis arrivé dans l’industrie, les personnages n’étaient composés que de simples points, et aujourd’hui nous pouvons intégrer la performance d’un acteur dans nos jeux vidéo. La technologie évoluant sans cesse, je pense que les possibilités sont infinies. Il est rare de trouver un médium de ce genre-là.
La technologie n’est pas radicalement différente d’un studio à un autre. Disons, par exemple, qu’un Studio A possède une technologie assez bonne pour envoyer une fusée sur la lune. La technologie d’un Studio B et d’un Studio C sera différente, mais vous n’y trouverez pas de fusée capable d’aller sur Pluton. Cela ne concerne que la lune. Ce n’est donc pas une question de technologie, mais plutôt la façon dont ces studios vont l’utiliser. À quel genre de vision vont-ils avoir recours ? Quels types de collaborateurs travaillent ensemble ? En prenant ce même exemple, le Studio A possède la technologie pour aller sur la lune. Mais le Studio B, malgré une technologie très similaire, réussi à se rendre sur mars. C’est précisément ces différences qui m’ont impressionné [durant mon voyage technologique].
Certains studios ou certaines compagnies sont hiérarchisés de façon stricte et militaire, dans un grand bâtiment. Vous recevez vos directives de la part de hauts placés, dans de grandes salles de réunion. Ils vous dictent la manière dont cela doit fonctionner. Ce n’est pas vertical comme cela chez Media Molecule, mais plutôt horizontal. Les gens se rassemblent à la cafétéria pour discuter. La façon de créer leurs jeux est plus familiale. Elle a eu un véritable impact sur moi. Je ne pense pas nécessairement que nous allons bâtir notre équipe de façon occidentale. Mais une chose qui m’a inspiré lors de mon voyage, spécialement chez Media Molecule, c’est l’originalité de toutes ces équipes. C’est une véritable source d’inspiration pour moi. »
Malgré les difficultés qui attendent Kojima Productions en repartant de zéro, Hideo Kojima n’a jamais été aussi motivé pour l’avenir. « Même si créer des jeux est très difficile c’est tellement amusant que je ne pourrais pas m’arrêter d’en faire. »
Écrire un commentaire